lundi 22 décembre 2008

(Depeche) : Le champagne confronté à la fin des années fastes

il y a 1 heure 1 minLeMonde.fr

Sur l'avenue de Champagne, Champs-Elysées d'Epernay, il y avait déjà les imposants bâtiments de prestigieuses maisons comme Moët & Chandon ou Perrier-Jouët. On y trouve désormais le siège du Syndicat général des vignerons, tout juste inauguré.

Tout un symbole, d'autant plus que, alors que la crise financière vient perturber la success story du secteur, les seuls à résister dans la tourmente sont les champagnes de vignerons. "Avec plus de 70 millions de bouteilles vendues par an, nous avons notre place parmi les grands", lance Patrick Lebrun, le président du syndicat. Mais l'homme a le triomphe modeste : "D'accord, certains vignerons vendent même mieux qu'en 2007, mais je pense que nous ne seront pas épargnés en 2009."

Les chiffres frappent. En octobre, mois du gros des achats de Noël, ils sont catastrophiques : - 16,5 %, dont - 20,9 % pour les maisons de champagne et - 17,5 % pour les coopératives. Avec + 3,3 %, les champagnes de vignerons continuent d'augmenter. Sur dix mois, le repli s'élève à 4,9 % et on s'accorde à prévoir l'année 2008 dans le rouge, après deux décennies de croissance. La fête serait-elle finie ?

A Epernay, on relativise ces chiffres ultra-commentés, publiés par le Comité interprofessionnel des vins de champagne (CIVC). Avec plus de 338 millions de bouteilles vendues, 2007 était un record absolu. Faire mieux aurait été difficile.

Mais personne ne s'attendait à un tel contrecoup. La faute aux intermédiaires, importateurs, grande distribution ou cavistes, plus prudents, voire frileux depuis le début de la crise financière. Ces trois derniers mois, ils ont écoulé leurs stocks plutôt qu'investi ou multiplié les petites commandes. Ils optent pour le flux tendu, au risque de se retrouver en manque de marchandise pour les fêtes, car les Champenois ne peuvent fournir tout le monde en quelques jours. Si les champagnes de vignerons résistent, c'est parce qu'ils sont vendus directement au client final. Leur bonne santé rassure, car elle prouve que, s'il y a chute des ventes, il n'y a pas de baisse de consommation.

Pas question de céder à la panique. "Nous avions besoin de reconstituer nos stocks, car notre principal risque, c'est la pénurie", rappelle Ghislain de Montgolfier (Bollinger), président de l'Union des maisons de champagne. "En 2007, beaucoup disaient le secteur en surchauffe. Nous vendions trop", se souvient Daniel Lorson, porte-parole du CIVC, qui rappelle qu'il faudra attendre 2020 pour voir la production augmenter, grâce à l'extension de l'AOC. Ici, pas de problème de surcapacité ; rien à voir avec l'automobile.

VERS DES BOUTEILLES À 10 EUROS ?

Voilà donc la Champagne qui redescend de son nuage. Mais l'atterrissage en douceur n'est pas garanti. Tous estiment que 2009 s'annonce difficile et, dans ce milieu si petit où tout le monde s'épie, on imagine que le ralentissement fera des dégâts. "L'effet sera discriminant, mais nous ne savons pas encore comment", confirme M. de Montgolfier.

Les années 2008 et 2009 devraient distinguer les attitudes prudentes des stratégies hasardeuses auxquels certains ont cédé durant l'euphorie, quand il était si facile de vendre. Beaucoup ont augmenté leurs prix. En parallèle se sont multipliées les tentatives de montée en gamme, à grand renfort de bouteilles millésimées, de cuvées spéciales et de déclinaisons "rosé", avec un but : intégrer l'univers du luxe. D'autres ont joué la course aux volumes et leurs chiffres records de 2007 devraient être suivis d'un net déclin.

Les acteurs très dépendants de la grande distribution seront les plus touchés. Les "valeurs sûres", avec des marques fortes et bien ancrées auprès d'une clientèle fidèle, pourraient résister. Le niveau d'endettement sera décisif et il se pourrait qu'après les fêtes des entreprises ne pouvant financer 10 %, voire plus, de stock supplémentaire, ou ayant besoin de liquidités, bradent leurs bouteilles à 10 euros...

La maison Laurent-Perrier, elle, a déjà annoncé des perspectives en baisse pour l'exercice 2008-2009. Si le groupe avait envisagé l'impact sur ses ventes de la hausse de prix de 17 % qui a accompagné son positionnement haut de gamme, il n'avait pu prévoir l'autre versant de ses problèmes actuels : le déstockage dû à la crise. Mais Yves Dumont, le président du directoire, pense traverser la tempête "sans souffrir", car sa maison est "très désendettée".

La coopérative Nicolas Feuillatte - près du tiers des ventes de sa catégorie - reste discrète sur ses résultats. "Attendons la fin de l'année", indique Dominique Pierre, le directeur général. Comme d'autres, il pense que les ventes d'octobre se reportent sur décembre et, qu'au final, beaucoup d'acteurs enregistreront une croissance positive en valeur.

Chacun a son avis sur le futur chiffre annuel de ventes. Le CIVC estime que la baisse devrait avoisiner 7 % en 2008, des prévisions jugées par certains trop optimistes. Il est dans l'intérêt de ceux qui souffrent que l'ensemble du secteur chute. Réponse à la Saint-Vincent (le patron des vignerons), le 22 janvier 2009, quand les chiffres de chacun seront connus. "On se dira alors que, comparé à d'autres secteurs, il s'agit juste d'un ralentissement", relativise M. de Montgolfier.